Conquérir le pouvoir
Vous êtes-vous déjà retrouvé dans cette situation où vous vous sentiez acculé par autrui, soumis à son pouvoir et avec la furieuse envie d’inverser les rôles ? Cette autorité puissante, comment fait-elle pour vous contraindre ? Et pourquoi n’est-ce pas vous qui avez le pouvoir ?
Le pouvoir
En 1957, Robert DAHL définissait le pouvoir comme une relation interindividuelle asymétrique dans laquelle “le pouvoir d’une personne A sur une personne B, c’est la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A”. 3 idées primordiales transpirent alors de cette définition. La première est qu’il faut au moins être 2. En effet, personne n’a de pouvoir seul. Le pouvoir n’est pas une qualité intrinsèque de chacun, mais s’exerce sur quelqu’un. Il n’y a donc pas de « qualité » faisant naitre le pouvoir mais celui-ci provient d’une interaction. Donc personne n’a du pouvoir en soi. La deuxième est que le pouvoir n’appartient pas à celui qui l’exerce mais lui est donné par celui qui le subi. La personne A n’a pas de pouvoir, mais la personne B lui en accorde.
C’est pour cela que certain vont avoir du pouvoir sur un groupe d’individus et par sur d’autres : nous n’avons aucun pouvoir sauf ceux accordé par les autres. La troisième découle de la deuxième : personne n’a de pouvoir sur vous que vous ne lui accordez. Par exemple, votre supérieur n’a de pouvoir sur vous que parce que vous acceptez d’être son collaborateur. Mais si vous démissionniez, ce dernier ne serait qu’un être humain sans pouvoir parmi tant d’autres.
C’est ce qui faisait dire à Michel FOUCAULT “le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper ; le pouvoir s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles”. Oui, mobiles. Cela signifie que tout peut changer…
Dans son ouvrage sur la servitude volontaire, La Boétie, au milieu du 17e siècle, alors âgé de 16 ans, décrivait cette faculté de l’être humain à volontairement se soumettre à un pouvoir qu’il a choisi. Souvenez-vous il y a des années de cet « autre ». Il était votre patron, votre conjoint, votre enseignant. Il exerçait un pouvoir sur vous. Vous ne faisiez rien sans son aval. Vous réfléchissiez d’abord en fonction de ses réactions. Vous mentiez, vous cachiez, vous mettiez des masques, vous n’existiez qu’à moitié par peur de lui déplaire, d’être sanctionné. Et aujourd’hui que reste-t-il de ce pouvoir ? Vous avez changé. La situation a changé. Vous êtes quelqu’un d’autre, ailleurs, et vous n’accordez plus ce pouvoir. Cet autre n’influence plus votre vie et vos actes. Vous avez décidé de ne plus être à son service, volontairement. Alors cet autre avait-il du pouvoir ? Assurément, mais seulement celui que VOUS lui avez accordé.
Les sources de pouvoir
Mais d’où vient ce pouvoir que l’on accorde à autrui ? Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Pourquoi a-t-il du pouvoir sur moi et pas sur un autre ?
Il est important de comprendre les origines psychologiques et sociales du pouvoir. En 1959, FRENCH et RAVEN ont défini « 5 sources de pouvoir ». Elles sont les vecteurs d’influence. Ces sources sont reconnues, recherchées, identifiées et acceptées individuellement par celui qui accorde du pouvoir et ne sont jamais des qualités intrinsèques de celui qui l’exerce. Nous allons les classer en fonction de leur facilité de mise en place par celui qui veut obtenir un pouvoir. Ce classement rendra également compte des aspects très subjectifs de cette notion de pouvoir.
Le pouvoir légitime : c’est celui d’avoir le pouvoir conféré par une autorité. Il n’y a aucune raison particulière objective si ce n’est que socialement, l’individu a « officiellement » le pouvoir. Ou plus exactement, vous êtes « officiellement » obligé de vous soumettre à sa volonté. Cela ne repose sur rien, ou presque. Juste sur le fait que vous acceptiez ce fait social. Par exemple, un enseignant a du pouvoir sur un élève car il est légitimement enseignant dans sa classe. Mais ce pouvoir ne repose que sur sa fonction obtenue par un concours décidé par la puissance publique. Il est légitimement au pouvoir, mais si, ou quand, les élèves se rebellent, cet enseignant ne redevient qu’un humain sans pouvoir et sans légitimité. Tout ce pouvoir n’est basé que sur le fait que ceux sur qui on l’exerce acceptent les règles sociales. Notre Président de la République est « légitimement » au pouvoir. Or, seuls 20 % des votants l’ont voulu au premier tour des élections présidentielles de 2017, soit moins de 12% des Habitants de la France en comptant tous ceux qui ont voté pour un autre candidat, n’ont pas voté par choix, à cause de leur âge … Mais il est légitime. Enfin ça dépend : certain pourraient ne pas reconnaître cette légitimité et lui mettre une gifle, le faisant redescendre ainsi à son triste sort de simple être humain sans pouvoir intrinsèque si ce n’est celui reconnu par la puissance sociale à laquelle nous nous soumettons volontairement (La Boétie). Mais le « tarteur » prendrait 4 mois de prison ferme : on ne défie pas la puissance publique.
Le pouvoir de récompense : c’est la capacité de gratifier, de donner, d’améliorer, de récompenser pour sa soumission. C’est exactement le pouvoir inverse du précédent : on récompense celui qui se soumet. Il est très utilisé dans les rapports sociaux, notamment familiaux : cette maman qui récompensera son enfant quand il fera une bonne action, ou ce papa qui donnera une pièce à sa fille quand elle rapporte une bonne note. On cache souvent cela derrière des volontés éducatives, mais en réalité on n’apprend pas à l’enfant à aimer faire des choses bien, ou travailler, pour son intérêt supérieur, on lui apprend à se soumettre à la volonté de ses parents et d’en tirer récompense. D’ailleurs, à un certain âge la pièce ne suffira plus. L’enfant ne sera plus motivé par cette faible récompense, et comme il n’aura pas appris à travailler pour son propre bien, il ne reconnaitra plus le pouvoir de récompense de ses parents. Mais des tas d’autres exemples existent, notamment dans le milieu conjugal : cette épouse malmenée qui offre des moments doux à son mari quand il est « gentil », pour le récompenser, pour l’encourager. Mais il devrait être tout le temps gentil !! Et cela ne fonctionne qu’un temps car dès que la récompense est obtenue, il redevient méchant, tel qu’il est, sans changer, sans évoluer, jusqu’à ce qu’il est à nouveau envie d’une récompense. Cela n’est pas un mode efficace d’apprentissage, mais c’est une source de pouvoir : on achète le pouvoir. Mais cela ne vaut que tant que l’autre a envie de le vendre.
Au quotidien
Qui a du pouvoir sur vous ? Ou plutôt, qui laissez-vous avoir du pouvoir sur vous ? Et sur qui avez-vous du pouvoir ? Quel type de pouvoir vous exercez ? Vous comprenez ce qu’est le pouvoir et d’où il vient : vous êtes capable alors de vous défaire des pouvoirs qui s’exercent avec votre accord, sur vous. Mais vous êtes aussi capable d’exercer du pouvoir sur autrui en sachant qu’utiliser la légitimité ou la sanction ne vous permettra que du pouvoir passager et sans motivation, alors que l’expertise ou la référence vous donneront du pouvoir à long terme et motivant.Je me souviens avoir accompagné Benoit dans des entrainements aux entretiens d’embauche. Il était compétent, adorable, il aimait travailler en équipe et était doué d’une empathie formidable. Mais devant un recruteur il se fermait, balbutiait et ne parvenait pas à exprimer la quintessence de ses qualités. Pourquoi ? Il leur accordait trop de pouvoir. Pour lui, ces potentiels futurs employeurs avaient un pouvoir de vie ou de mort sur sa carrière, de sanction ou de récompense. C’était la même chose avec Isabelle qui avait peur des entretiens annuels d’évaluation avec son manager, de cette jeune femme qui tremblait à l’idée de passer son permis de conduire, de cette autre qui avait peur de s’inscrire en Master et qu’on ne la refuse, ou de celui-là qui n’abordait pas les filles de peur d’être dévoré. Pour Benoit, comme pour les autres, il fallait qu’il prenne conscience que ce pouvoir accordé n’était pas dans l’autre, mais offert à l’autre. Mais lui aussi avait du pouvoir : celui de faire avancer l’entreprise, de faciliter la vie de son employeur, de mettre à la disposition de l’organisation sa personnalité et ses connaissances. Alors il compris que le pouvoir pouvait se partager. Il avait aussi le pouvoir d’accepter et de refuser, et en refusant il sanctionnerait l’entreprise. Et vous savez quoi ? Les recruteurs l’ont regardé, puis écouté, puis embauché. Par son expertise et sa bienveillance naturelle il a su susciter le désir chez l’autre et l’a poussé volontairement à lui faire confiance. Il était soumis à un pouvoir subjectif, puis à exercer un pouvoir : ça sert aussi à cela le coaching, redonner de la confiance et des clefs pour ouvrir toutes les portes fermées. Et Isabelle ? Elle est manager aujourd’hui. Ma jeune patiente (qui a grandit) a obtenu son permis sans problèmes. Cette jeune femme s’est inscrite en Master, et mon ami effrayé par les femmes est heureux en couple (spécial bisou à Léa qui est nait parce que son papa a arrêté de subir le pouvoir d’autrui et a compris qu’il pouvait l’offrir à la bonne personne).
One Comment
Pingback: