Négociation,  Relations sociales

Motivations et freins : convaincre par l’écoute

Qu’il s’agisse de négociation commerciale, d’une demande de service ou de rendez-vous, à titre personnel ou professionnel, ne vous êtes-vous jamais confronté à un refus sans comprendre pourquoi, et ce malgré la force de vos arguments ? La clé pourrait venir des motivations et des freins de votre interlocuteur, et peut-être des vôtres …

Motivations et freins

Le publicitaire Henri JOANNIS proposa en 1993, dans son ouvrage « De l’étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes », une vision éclairée des forces pouvant pousser les individus à agir ou à ne pas agir. Évidemment, son étude portait sur l’achat au sens commercial du terme, et nous suivrons ce fil là, mais nous pouvons extrapoler cela à tout acte négocié, demandé, proposé, qu’il soit un achat ou un simple service.raccourci

Les motivations

Les motivations sont des forces psychologiques positives, c’est-à-dire, tendant à l’action. Elles correspondent aux besoins que satisfait l’achat, le choix, la prise de décision. Il est important de dire dès le début qu’elles ne correspondent pas à une liste standardisée telle qu’on les trouve dans certains manuels (instinct de nutrition, de reproduction, d’affirmation de soi). Elles correspondent à un faisceau d’éléments psychologiques prenant sa place dans l’univers psychologique total de l’individu et dépendant de lui.
Ces faisceaux n’existent qu’à l’égard du produit, du service, ou de l’acte considérés ; Ils disparaissent ou se transforment complètement quand on étudie une activité voisine. Ils sont fixes et permanents pour un individu mais n’existent qu’à l’égard d’un contexte et d’un produit donné. Donc, il ne s’agit pas d’une constante psychologique caractérisant l’individu, mais un aspect psychologique conjoncturel.
Pour Henri JOANNIS, il y aurait 3 catégories de motivations.

Motivations hédonistes.

Ce sont les pulsions d’achat qui trouvent leur origine dans le désir d’obtenir de la vie des plaisirs. Une pulsion de ce genre est évidemment la gourmandise, qui se manifeste par l’achat de certains produits (chocolat…), comme par la recherche de certaines qualités dans ce produit : un biscuit frais craquant sous la dent, un café qui sent bon dès que l’on ouvre le paquet, une orange bien juteuse et douce. On rencontre souvent des motivations hédonistes moins évidente, le rasage est pour l’homme une des seules occasions où il lui est permis de se contempler longuement dans une glace ; nous avons aussi un réel plaisir pour un insecte volant visé d’un tir adroit à l’aide d’une bombe insecticide ; satisfaction du même type que le sentiment de victoire que donne le frémissement animal transmis à la canne à pêche. Plaisirs personnels qui ne touchent pas à une satisfaction physique ou même tangible mais au domaine de l’évasion, des satisfactions magiques ou du rêve pur. C’est ce que recherche celui qui collectionne les soldats de plomb. C’est l’assimilation aux princesses des contes de fée que se donne la jeune fille qui, seule devant son miroir se couvre de faux bijoux. Enfin, il ne faut pas oublier que parmi les motivations hédonistes, on en trouve une commune à tous les êtres : la recherche du travail moins pénible, la suppression de certaines corvées. Dans la vie de chaque être, il est un certain nombre de tâches qui ne procurent aucun plaisir ou qui procurent des plaisirs minimes par rapport aux efforts qu’elles réclament.

Motivations oblatives

Ce sont des pulsions d’achat qui trouvent leur origine dans le désir de faire du bien, de donner quelque chose (oblare : donner) aux autres. Exemple du tricot à la main fabriqué pour son futur enfant. Même les femmes qui ne tricotent pas se mettent à confectionner brassières ou chaussons lors de la grossesse. Il s’agit d’une modification de nidification. La motivation oblative se manifeste dans toutes les activités où la femme apporte à sa famille quelque chose où elle a pu mettre une part d’elle-même. Apparemment, les motivations oblatives sont moins fortes chez les hommes. Elles apparaissent cependant en ce qui concerne certaines catégories de dépense du ménage où l’homme fait passer, avant la satisfaction de ses désirs personnels, les désirs de sa femme et de ses enfants, en particulier dans l’équipement ménager. Cela explique aussi pourquoi le budget habillement de l’homme est toujours inférieur à celui des autres membres du foyer.

Motivations d’auto expression


Elles trouvent leur origine dans le besoin dans chacun de nous d’exprimer qui il est. Ces motivations peuvent se manifester dans le choix d’un vêtement ou dans la création…mais ont de commun qu’elles trouvent leur origine dans les autres. Le type de ce genre de motivations est le désir de s’affirmer comme un être puissant, éventuellement par l’intermédiaire de l’argent. On trouve ces motivations dans tous les produits qui ont rapport avec la vie sociale : voiture, meubles… ne pas croire que ces motivations sont toutes de même nature : chercher à éblouir les autres. Elles sont souvent beaucoup plus nuancées ou même opposées. Ainsi, une des motivations d’auto expression recherchées par les hommes dans l’achat de vêtements est, dans le cadre de leur groupe social, de passer inaperçu. C’est d’ailleurs par une motivation du même type que l’on peut expliquer que certaines femmes n’achètent pas un vêtement qui les séduit fortement et qu’elles peuvent financièrement s’offrir. Elles ont peur que ce vêtement rompe l’unité de leur personnalité, qu’il propose d’elle une image qui n’est pas conforme à celle qu’elles ont présentée jusqu’ici. « C’est joli mais pas pour moi ». Ceci explique aussi les différences de vêtements lors des vacances, loin de leur contexte.

Les freins

Ce sont des forces psychologiques négatives tendant à empêcher l’action. Ils correspondent aux besoins à l’encontre desquels va l’achat. Comme les motivations, ces forces n’existent que dans l’ensemble de l’univers psychologique des sujets étudiés et au milieu des diverses forces qui s’y manifestent ; importance du contexte de JOANNIS. On peut les classer en 3 catégories.

Les inhibitions

Ce sont des pulsions négatives causées par certaines motivations d’achat et inséparables d’elles. Cette motivation est considérée par le sujet comme non noble, frivole ou honteuse : elle est donc dévalorisée. Ce frein existe concurremment avec la motivation et augmente quand celle-ci augmente. Ainsi, le plaisir solitaire que représente la consommation de chocolat par un adulte seul est-il coupable… Il en est de même pour toute une catégorie de plaisirs, c’est la raison de l’excuse : « c’était en solde »…par la femme qui a cédé à son besoin continuel de renouvellement de vêtements et qui sait que ce besoin n’est pas raisonnable. Le problème posé par les inhibitions est celui de ne pas pouvoir les faire disparaître d’une situation d’achat car elles sont difficilement séparables des motivations qui tendent à engendrer ces actes d’achat.

Les peurs

Ce sont les pulsions négatives causées par les difficultés subjectives ou imaginaires inhérentes à l’emploi du produit, à son achat. Ces peurs touchent par exemple à la manipulation d’un appareil compliqué. Elles peuvent aussi avoir toutes sortes de causes. Elles sont souvent vives en ce qui concerne les produits alimentaires : la peur du produit chimique peut aider à favoriser le développement de nombreuses boutiques spécialisées et de toute une gamme de produits diététiques. Une peur qui a sa place importante dans les freins d’achat, c’est le prix. Acheter en effet consiste toujours à échanger les mille satisfactions potentielles contenues dans une somme d’argent contre une seule série de ces satisfactions contenues dans le produit. Tant qu’on n’a pas acheté, tout est possible. Dès que l’on a acheté, les portes du rêve se ferment et on se trouve en face de l’objet qu’on a su plus ou moins bien choisir. Les femmes ressentent profondément ce passage du rêve à la réalité lorsqu’elles veulent acheter un vêtement pour elles : elles font traîner très longtemps la prospection, période de rêve où toute fantaisie est permise en imagination et arrive difficilement à se décider. Le prix constitue donc d’abord une peur générale, celle du choix, la peur de se dessaisir d’une parcelle de son pouvoir d’achat, potentiel rassurant et multiforme abandonné en faveur d’un objet précis et limité. Le prix engendre aussi une deuxième série de peurs : celle de ne pas avoir su choisir le juste prix.

Les risques

Plus objectifs, ces freins représentent la tentative de rationalisation à la fois de l’achat mais aussi de l’utilisation du produit. Ils peuvent être issus de croyances et ne sont pas toujours réels, mais ils reflètent souvent une « vérité » partagée par le plus grand nombre et sont guidés par le besoin de se conformer et de se rassurer. Ces freins sont régulièrement présents dans les achats où il y a une forte implication, soit par le prix, soit par l’image donnée, soit par le caractère engageant de l’achat. Lorsqu’un acheteur visite une maison pour installer sa famille, il va prendre en considération de nombreux risques liés au logement, au financement, à l’évolution de sa situation. Ces risques ne sont pas forcément fondés sur des aspects réels mais sont pour l’individu très tangibles et nécessitent des réponses objectivées, factuelles et claires.

Au quotidien

Quelle que soit la situation, quel que soit l’enjeu, nous sommes régulièrement amenés à tenter de convaincre. Pour négocier, pour acheter ou vendre, pour obtenir une faveur ou un service, l’interaction prendra une tournure pouvant aller vers nos objectifs, ou pas. Pour maximiser ses chances il suffit souvent d’écouter et de comprendre quelle est (quelles sont) la (ou les) motivation(s) principale(s) de l’autre. Mais il est aussi primordial d’entrevoir ses freins. En argumentant dans le sens de sa motivation et en répondant aux objections de ses freins, il sera possible d’obtenir tout ce que vous voulez. Mais attention, il ne s’agit pas ici de mentir ou de manipuler, mais plutôt de convaincre et d’argumenter.

En 2007, j’ai eu la chance d’approcher une grosse organisation non gouvernementale afin de leur vendre des sessions de formations en premiers secours. J’avais préparé un argumentaire en béton vantant les mérites et les avantages de mon produit. J’étais le moins cher, le mieux situé, le plus disponible … Je n’ai pas pris le temps d’écouter le responsable des achats nouvellement nommé. Je lui ai déballé mon argumentaire d’une traite, fier de moi et de ma proposition. Et j’ai eu un « non ». C’est à partir de là que je l’ai écouté. J’ai perdu du temps au départ et j’ai aussi grillé une cartouche que j’ai eu beaucoup de mal à récupérer. Après son exposé contradictoire, et me rendant compte de mon erreur, j’ai pris congé en lui promettant de réviser ma copie et de revenir la semaine prochaine.
J’étais persuadé que ce qu’il voulait c’était de la qualité et de la disponibilité assouvissant ainsi des motivations hédonistes mais surtout oblatives en faisant le meilleur choix pour ses équipes. J’étais persuadé que ses freins étaient liés aux risques de prendre une formation de mauvaise qualité alors que j’avais bien argumenté sur la qualification des formateurs et sur leur expérience. Mais pas du tout … Nouvellement nommé, il avait à cœur de « briller » pour son premier achat d’importance, de montrer à son employeur quel formidable négociateur il était, d’exprimer ses compétences et de justifier de sa nomination. Ses freins étaient liés aux peurs de disposer de formations sans valeur officielle ; et dans le même cadre, il avait une forte inhibition face à des prestations de formations non « officiellement » diplômantes. J’ai donc revu mon argumentation. J’ai laissé une plage de négociation du tarif, j’ai accentué la présentation sur le caractère règlementaire de la formation et sur sa validité par le ministère du travail, et j’y suis retourné. Nous avons négocié le tarif, il a obtenu après une difficile lutte 10% de réduction et je l’ai félicité pour sa poigne. Je lui ai montré les certificats indiquant la validité du diplôme décerné. J’ai eu de la chance, j’ai été convainquant, j’ai remporté ce marché. Mais j’aurais pu ne rien gagner, juste parce que j’ai parlé avant d’écouter, juste parce que je n’étais pas assez humble pour me rendre compte que je croyais savoir mieux que lui ce qu’il voulait et ne voulait pas. Grave erreur que je n’ai jamais reproduite.

En conclusion

Dans une interaction, l’autre est l’élément essentiel. Comme vous, il a ses propres motivations et ses propres freins. Ils seront probablement différents des vôtres et c’est en écoutant, en allant à la rencontre de l’autre que vous irez vers vos objectifs. Il faut apprendre de tous, et comprendre chacun pour avancer …

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